Cette rupture entre les deux pays-frères ennemis wahhabites s’inscrit dans le cadre d’un contentieux qui s’est cristallisé quelques années plus tôt lors du printemps arabe, lorsque le Qatar, peut-être trop sûr de lui, a voulu jouer sa propre partition géopolitique mondiale.
Le 5 juin dernier, l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, la Libye, le Yémen et les Maldives ont rompu leurs relations diplomatiques avec l’émirat du Qatar. Riyad reproche à Doha son soutien aux Frères Musulmans, à des groupes djihadistes liés à Al-Qaïda et Da’esh, sa proximité avec l’Iran, puis des propos attribués à l’émir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al Thani, qui auraient encouragé le Hezbollah, le Hamas et même soutenu l’Iran-chiite, ennemi juré des Saoud.
Déjà survenue une première fois de façon assez brutale en 2014, cette rupture entre les deux pays-frères ennemis wahhabites s’inscrit également dans le cadre d’un contentieux qui s’est cristallisé, quelques années plus tôt, lors du printemps arabe, lorsque le Qatar, peut-être trop sûr de lui et désireux de jouer sa propre partition géopolitique mondiale, s’est mis à soutenir, par les gazodollars, l’appui diplomatique et Al-Jazeera, les révolutionnaires arabes qui voulaient « dégager toutes les dictatures en place » et en particulier, les partis politiques islamistes issus de la Confrérie des Frères-musulmans bannie en Arabie saoudite depuis qu’elle menace idéologiquement la monarchie saoudo-wahhabite au nom d’une conception à la fois révolutionnaire et démocratique de l’islamisme, ce qui est une menace existentielle pour Riyad.
Dans ce contexte, l’Arabie saoudite a exclu sans trop de surprise du Conseil des Oulémas de la Ligue islamique Mondiale, le célèbre cheikh-prédicateur égypto-qatari Youssef Al-Qardaoui, idéologue majeur des Frères musulmans basé au Qatar, puis le gouvernement de Riyad a fait retirer tous ses ouvrages des écoles et bibliothèques du pays. En parallèle, les Saoudiens ont fait interdire la chaîne qatarie al-Jazeera dans les hôtels et ont même interdit aux Qataris de visiter la Grande Mosquée de La Mecque. Aux Emirats et en Arabie saoudite, ces mesures ont été assorties d’une pénalisation de toute critique des positions anti-qataries et anti-Frères musulmans des deux pays (le soutien public du Qatar est passible d’une amende d’un million de dollars et jusqu’à 15 ans d’emprisonnement…).
L’Arabie saoudite a réussi par cette manœuvre de diversion – qui vise aussi à faire oublier sa propre responsabilité accablante dans le financement de la fanatisation islamiste-salafiste depuis des décennies – à discréditer un peu plus le « vilain petit Qatar », victime depuis le 6 juin d’un blocus économique et aérien auquel participent l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Bahreïn et qui vise à faire planer sur l’émirat – riche mais isolé – une menace de pénurie alimentaire, sachant que Doha importe 90% de ses denrées alimentaires et que 40% de ses importations transitaient par la frontière saoudienne, unique point de contact avec la péninsule arabique. Concernant la façade maritime, le ravitaillement habituel du Qatar s’opérait à travers les ports des Émirats Arabes Unis qui sont à présent totalement fermés aux navires qataris. Il faut reconnaître que l’incontrôlable et incohérent Trump, soi-disant « anti-islamiste » et « islamophobe » tel qu’on la caricaturé durant sa campagne lorsqu’il a incriminé les pays islamistes du Golfe, n’est pas étranger à cette crise qataro-saoudienne, puisqu’il a apporté un soutien total à l’Arabie saoudienne et a jeté de l’huile sur le feu saoudo-qatari, lors de sa récente tournée, au Moyen-Orient qui s’est traduite par un appel à désigner l’ennemi principal iranien, jugé supérieur à la menace djihadiste de Da’esh et Al-Qaïda, et à endiguer tous les partenaires de Téhéran, dont indirectement le Qatar…
C’est dans ce contexte de lutte totale entre l’Arabie saoudite appuyée par Trump et l’Iran chiite qu’ont été perpétrés à Téhéran deux attentats (contre le Parlement iranien et le mausolée de l’imam Khomeyni) qui ont fait 17 morts et qui ont été revendiqués par l’Etat islamique, idéologiquement si proche du wahhabisme saoudien. Et c’est dans ce même contexte de « Fitna » chiites-sunnites et Iran-Arabie qu’il faut replacer la mise au ban du Qatar qui est accusé par Riyad de ne pas avoir choisi son camp (sunnite anti-chiite iranien) en refusant de participer clairement à cette guerre contre les Perses et l’axe chiite pro-iranien d’une manière générale, une guerre totale opposant deux théocraties islamistes opposées qui s’affrontent par guérillas et moudjahidines interposés tant en Syrie, au Liban, en Irak, qu’au Yémen.
Une analyse d’Alexandre Del Valle.
Note de la Rédaction de Zoomtchad.
Quant aux pays africains qui ne sont ni concernés ni impliqués dans ce conflit et ni réellement informés des tenants et aboutissants de cette guerre entre frères ennemis, ils se sont précipités, alléchés par les pétrodollars Saoudiens, à apporter leur soutien à l’Arabie Saoudite. Le Qatar leur a fait savoir que leurs ressortissants ne pourront plus avoir des visas pour le Qatar.