Peut-on faire le portrait d’un homme politique sans parler de son physique, de son allure, de sa façon de se mouvoir, de s’exprimer ? Difficile car l’homme politique est toujours en situation de communication voire de séduction. Il mobilisera tout son art pour cet objectif. Si cette alchimie est positive c’est le charisme, l’aura, le charme qui se dégagent d’une personne qui l’aideront dans la conquête de son public.
Alors, Idriss Deby est- il un homme charismatique ?
Assurément non, son visage est quelconque, il a pour le desservir un regard froid, glacial, un regard d’exécuteur comme l’a qualifié feu Jean François Verschave de l’association Survie. On peut lui reconnaitre une mise assez soignée mais le tout ne concoure pas à offrir un beau spectacle. Or la politique, c’est aussi du spectacle. Depuis quelque temps, il porte une canne, symbole de pouvoir et d’une pratique fétichiste. Il parait qu’il la porte lors des grandes cérémonies et tous les derniers samedi du mois pour pouvoir mourir au pouvoir ! Toutefois, Il ne sait pas marcher avec sa canne, ID n’a pas compris que c’est tout un art qui s’apprend, or il balance sa canne n’importe comment, pire, quand il parle à la presse ; il frappe au sol sa canne selon une cadence dont lui seul connait la fréquence.
Ces dernières années faisant honneur à son statut de roi du pétrole, il porte un « carter » bien développé. Il adopte dorénavant un look proche de celui de Papa Bonheur alias Sassou Nguesso, président du Congo. On l’a vu dans toutes ses dernières interviews où il est apparu hyper pommadé, les cheveux colorés, à n’en pas douter, c’est la Touch Hinda. Ce qui tranche avec le style habituel des tchadiens très réticents à adopter ce genre de look, préférant en général, garder un style sobre et naturel. Avant Hinda, on a eu droit au dentiste français transporté avec son matériel par avion spécial pour limer les dents de Deby.
Sa façon de parler, d’une voix monocorde et hésitante est particulièrement indigeste, il arrive à peine à lire sans faire de fautes, sans se reprendre, c’est pourquoi, il succombe à la tentation de se détacher de son texte et tenter une improvisation et c’est la catastrophe.
Que peut-on dire de sa conception du pouvoir ?
Il a eu très souvent cette phrase qui a, elle seule, peut résumer sa conception ; « je ne suis pas venu au pouvoir avec un billet d’avion Air Afrique ». Autrement dit, j’ai arraché ce pouvoir et je ne le céderai que contraint et forcé, par conséquent, ceux qui créent des partis et pensent arriver au pouvoir par les urnes, peuvent toujours courir.
Face aux attaques militaires, il a affirmé, « je mourrai au pouvoir ». Il est évident qu’il n’ira pas jusque là, dans la mesure où en 2008, plusieurs sources avaient affirmé qu’il aurait été évacué sur Libreville, pour d’autres, mis en sécurité au sein de la base française de « l’Opération Epervier ». Dans tous les cas, ce qui est sûr et incontesté est que ses bagages ont été faits et qu’une partie de sa famille fut évacuée, pendant que les militaires français pilonnaient les positions rebelles. Mais c’est un indice qui révèle que le pouvoir est toute sa vie et qu’il ne le lâchera pas facilement.
Ce pouvoir qui est sa raison d’être, comment l’a-t-il exercé, mais avant comment a-t-il vécu son installation dans cette station de puissance, d’honneurs et de privilèges ?
Le pouvoir, dés les premiers instants, (avant l’avènement du pétrole c’est-à-dire de 1990 à 2003) a signifié, pour lui, la possibilité d’avoir beaucoup d’argent par tous les moyens. En organisant d’abord, un racket auprès de la bourgeoisie compradore tchadienne, en exigeant des commissions sur tout et n’importe quoi, les gens étaient effarés de constater que le président acceptait même une enveloppe de 500 000 F Cfa (762 euros). Il était quasiment insatiable, pour lui, tous les moyens sont bons, ce fut la période de la fausse monnaie qui a servi à dépouiller bien de Tchadiens, ainsi les résidences de Deby dans les provinces ont été payées par cette monnaie de singe, de même, beaucoup d’éleveurs se sont vus grugés dans la vente de leur cheptel et bétail. Il a fallu que feu Bongo s’en plaigne ouvertement à Chirac pour que la planche à billets arrête de tourner. Mais le naturel a repris le dessus, ce fut la grosse affaire des faux dinars de Bahreïn avec des ramifications internationales, en Afrique du Sud, au Brésil, en France, au Niger. On est ensuite passé au trafic de drogue avec l’arrestation de M Aganaye, nommé au consulat du Tchad en Colombie et porteur d’un passeport Diplomatique. Il transporta 180 kg de cocaïne dissimulés dans une valise diplomatique à l’aéroport de Bonn, le mulet a bien entendu été lâché et purge une peine de 30 années de prison en Allemagne. Pour la petite histoire, c’est son frère M Ahmat Aganaye à qui la Belgique a octroyé la nationalité Belge pour créer le lien de compétence indispensable pour agir dans l’affaire HH.
L’accumulation effrénée de moyens financiers conduira ID à vendre les fils du Tchad au Congo pour porter au pouvoir Sassou II, puis, en RCA, ce fut l’organisation du coup de force contre Patassé moyennant finances et plaquettes de diamants sans oublier le soutien militaire apporté à Kabila contre là aussi des plaquettes de diamant. On a vu aussi la vente des passeports tchadiens par milliers en Arabie Saoudite et ailleurs, la vente de tout l’armement récupéré pendant la guerre avec la Libye. C’est son coté Mobutu.
Le pouvoir apporte l’argent et l’argent consolide le pouvoir, par la corruption en permettant la mobilisation et l’intéressement des groupes pour défendre ce pouvoir. Très vite, dés son accession au pouvoir, on a vu son clan s’organiser pour jeter les bases d’une concertation restreinte afin de faire main basse sur le pays.
IDRISS Deby : Le Roi Fainéant et son Bon plaisir
Les différents membres de ce clan avaient tout de suite compris que Deby était parfaitement incapable de gouverner seul et qu’il fallait s’organiser pour empêcher que les autres groupes ethniques aient la moindre chance d’accéder au pouvoir.
Idriss Deby est une espèce de roi fainéant qui n’a pas les capacités d’étudier des dossiers et de travailler à améliorer les conditions de vie des populations. Profiter et jouir de tout ce que le pouvoir pouvait lui procurer occupait une grande partie de son temps. Comme le titre d’un célèbre film africain, le pouvoir c’est FVVA (femmes, voitures, villas, argent), criant de vérité. Il suffit de voir le défilé de Hummers, les aventures et scandales avec les femmes d’autrui, femmes de ministres, filles de ministres, ministres femmes, femmes conseillers, sans compter tous celles que les « samsarma » contactent après visionnage de DVD des cérémonies de mariage. Il y a eu la promesse de mariage à caractère mystique qui n’a pas été réalisée au grand dam de la famille de la jeune fille malgré le séjour de leur fille au palais présidentiel pendant 15 jours. C’est dire que pour beaucoup de cas, le consentement des femmes est loin d’être évident. Peut-on compter les chefs de familles tchadiennes qui ont envoyé leur fille à l’Etranger, au Cameroun ou ailleurs pour les protéger. Plusieurs cadres se sont exilés parce qu’un jour, après la séance vidéo, le choix s’est arrêté sur leur épouse. On a vu Idriss Deby envoyé de somptueux cadeaux à ses ex, bien que celles-ci fussent désormais dans les liens d’un mariage, provoquant rupture et désolation dans les ménages. Pour lui, seul son bon plaisir compte et il n’y a pas de ex qui tienne. En d’autres termes, les pages ne sont jamais tournées, du moins pour lui. Seul le bon plaisir du Roi Idriss compte et qui peut le contrarier ? Inutile de dire le stress dans lequel vivent les familles. C’est son coté Bokassa.
L’Etat, l’administration, la paperasserie, ce n’est pas son truc, il laisse volontiers des proches s’en occuper, d’où l’occupation de cet espace par les Erdimi devenant gestionnaires de fait de l’Etat Tchadien et partant comptables au même titre que Deby. La main mise sur l’administration, sur les sociétés, sur l’éducation, et le détournement massif des recettes publiques au profit exclusif de leur clan portent aussi leur signature. Ayant de tels pouvoirs, il est normal que naissent des ambitions.
Une fois partis en rébellion, la nature ayant horreur du vide, l’espace désormais vacant est occupé par Hinda et ses conseillers car notre roi est toujours fainéant. La montée de ses fils dans le cabinet présidentiel s’explique par la perte de confiance au sein du clan et sa volonté de les préparer à bosser pour lui et protéger ses arrières. « Mettez votre nez partout et ne faites confiance à personne », les consignes sont claires. Les conseillers à la présidence et à la primature fulminent, « ses enfants sont des semi analphabètes qui ne pigent rien et veulent soi disant tout savoir et contrôler ! »
Un exemple parmi tant d’autres ; qui peut dire quand a lieu le conseil des ministres au Tchad sous Deby ? Sous le régime de HH, le conseil des ministres se tenait tous les jeudis. Sous Deby, il se tient brusquement tous les 2 ou 3 ou 5 mois, nul ne le sait.
Aussi incroyable que cela puisse paraitre, et la presse au Tchad peut en témoigner, il est resté 15 ans sans accorder une seule interview à la presse tchadienne, c’est dire qu’il a de gros problèmes. Constatons qu’après 20 ans, il est incapable de s’exprimer sans faute et contresens. Sa capacité de comprendre exactement ce qu’on lui demande, dès que les propos sont nuancés ou font allusion à ce qui a été dit précédemment, il est perdu et ne peut pas faire face à un enchainement d’idées.
Extrait d’une récente interview sur Africa 24, entretien commandé et préparé 150 fois par ses conseillers : le journaliste : « M le président, qu’est ce qui a changé depuis notre dernière rencontre (datant d’un an) ?».
Eclat de rire de Deby, « mais voyons, je vis à Ndjaména, regardez autour de vous ! (allusion aux constructions).» Sourire gêné du journaliste : « Non, non, je faisais allusion au fait que vous affirmez ne jamais faire la paix avec El Béchir ! ».
Il revendique son statut de soldat comme pour dire, je ne suis pas un intellectuel. Ce coté de sa personne déteint dans sa façon d’exercer le pouvoir, il est fasciné par les royaumes, en fait, dans sa tête, il est plus roi que président de la République. Il a crée un sultanat à son frère, la canne qu’il porte est aussi un attribut des rois. Installé au palais, il avait laissé dans les différents quartiers, ses épouses et désigné des espèces de chambellans (ou samsarma au Tchad s’occupant des alcôves du Roi en ratissant aussi large que possible), défrayant la chronique et suscitant mille commentaires dans les salons de Ndjaména. Exactement à la manière des rois administrant leur harem, sans respect des règles religieuses et des us et coutumes du pays mais uniquement selon le bon plaisir du roi. Malgré une accalmie, les scandales continuent, récemment encore au sommet France-Afrique à Nice. A son mariage avec Hinda, celle-ci exigea plusieurs actes de lui, un communiqué officiel pour annoncer que désormais les autres n’ont pas le droit de porter le nom Itno puis l’iman de Ndjaména fut convoqué et un motard fit le tour de la ville pour déposer chez les coépouses un certificat de divorce. Après le scandale provoqué par un tel comportement, une délégation qu’il enverra, fera le même circuit pour expliquer que le certificat n’est pas valable au regard de ses traditions. Cet attrait qu’exerce sur lui, la royauté s’est encore révélée quand une cérémonie a eu lieu, au cours de laquelle Hinda a été érigée « Princesse Zaghawa » par le sultan Haggar, le tout largement médiatisé. Dans chaque ville du pays, il a construit ou en passe de construire un palais : Am djaress , Iriba, Abéché, et bientôt Moundou imitant en cela le roi du Maroc et les monarchies du Moyen Orient.
Le pouvoir est fait de mystères, et d’imprévus aussi tous les hommes politiques se laissent tenter par les pratiques mystiques, les marabouts, la sorcellerie etc… Deby en est particulièrement friand, il dépense un argent fou à cet effet, les marabouts et féticheurs sont convoyés des 4 coins du pays et même de l’Etranger (Inde !). Ces pratiques mystiques ont parfois consisté à l’enlèvement des jeunes filles, aussi bien à Ndjaména que dans les régions. Et ceci dans le silence complice de tout le monde, une seule personne à savoir M Yorangar a eu le courage de mettre le doigt sur la plaie et sur les larmes des mères tchadiennes. Rappelons qu’il y a 2 ans lors du concours de Miss TCHAD, une des candidates avait crié sa détresse au public pour dénoncer l’enlèvement et le viol des jeunes filles tchadiennes, Depuis ce jour, ce concours est étroitement contrôlé. Rappelons aussi, la lettre ouverte écrite par un groupe de cadres de l’ethnie Kréda qui avaient crié leur révolte face au viol massif de leurs filles par les hommes de Deby, laquelle lettre avait été publiée par le journal « l’observateur » dirigé par la journaliste Coumba Singa GALI et qui lui a valu d’être emprisonnée plusieurs mois. Selon certaines personnes, le clan présidentiel l’avait menacé elle-même de viol en cas de récidive, la journaliste a quitté le Tchad pour aller travailler au Congo.
Dans la seconde partie.
L’exercice du pouvoir : Idriss Deby, un homme violent et impulsif.
La Rédaction