Quand j’apprends la parution d’un livre sur le Tchad écrit par une journaliste de RFI, ma première réaction est de dire : « en moins de 2 ans, 2 livres sur le Tchad écrits par des journalistes de RFI, alors qu’il n’en a rien été pendant plus de 30 ans. Quelque chose est- il en train de bouger dans cette loge françafricaine ou bien du fait de la crise que traverse ce média, les journalistes ne sont plus « tenus » par des projets d’une carrière prometteuse et font preuve d’une certaine indépendance ?
J’ai toujours des problèmes avec les titres des ouvrages écrits sur le Tchad. Celui-ci n’échappe pas à la règle. Déjà, le livre de Stéphanie Braquehais s’appelait « Paris-N’Djamena, allers retours ». Il est vrai que certaines maisons d’édition imposent un titre mais vraiment celui-ci « retour du Tchad » n’est pas particulièrement accrocheur et surtout que c’est le même titre qu’un livre paru en 1928 écrit par André Gide « Retour du TCHAD, Ed. Gallimard », un explorateur qui raconte son épopée au Tchad, du temps des colonies.
Est-ce à un voyage d’exploration dans le Tchad d’aujourd’hui que nous invite Sonia ROLLEY ? Dans un pays singulier, dangereux, sans confort, où l’on manque de tout, où les passions se déchaînent, luttes meurtrières et fratricides pour le pouvoir, convoitises, ingérences et dominations étrangères, richesses et ….une jeune femme dans cette jungle. Peut être.
La photo de couverture présente, en premier plan, un enfant soldat qui pourrait appartenir à l’un ou l’autre des deux camps, illustrant les méfaits des guerres, ou thème à la mode agité par les pays occidentaux pour se donner bonne conscience après avoir contribué à mettre les pays à feu et à sang ?
Ecrit dans un style narratif, simple, il est d’une lecture facile mais coûte un peu cher pour les bourses tchadiennes.
Par rapport au contenu, ce carnet est conçu comme un compte rendu détaillé de son métier de journaliste, de correspondante de RFI dans un pays en butte avec de multiples rebellions où tour à tour elle a, à faire à l’entourage présidentiel, à l’ambassadeur de France, aux bureaucrates des institutions internationales et enfin à l’armée française.
Pour donner notre point de vue, nous avons retenu des sujets parmi ceux qui ont été traités dans cet ouvrage. Certains sont plus importants que d’autres, dans tous les cas, ils ont suscité notre réaction.
Avant même de lire le livre de Sonia Rolley, j’ai entendu l’auteur en parler sur RFI en ces termes : « ….La France n’a aucun intérêt économique au Tchad, nous avons une seule entreprise au Tchad, c’est la SATOM, le pétrole c’est les américains, tout au plus, le Tchad sert de bac à sable à l’armée française….. ».
J’ai été profondément choqué par ces propos totalement faux, comment avec tous les moyens d’information à sa disposition, la journaliste pouvait-elle s’exprimer ainsi, et puis comparer le Tchad a un bac à sable, allusion à un terrain de jeux où des enfants s’amusent, où le sable est piétiné….
Premièrement, concernant les intérêts économiques français au Tchad, actuellement, ils sont énormes et sans tarder passons-les en revue tout simplement.
Tout le monde sait aujourd’hui que les infrastructures construites au Tchad, les routes, hôpitaux et autres, financés sur les revenus pétroliers à hauteur de 1.000 milliards de FCFA (selon le ministre Younousmi) sont largement surfacturées et détournées. Elles sont le fait de l’entreprise de la famille présidentielle, la SNER dirigée par Daoussa DEBY et de 3 entreprises françaises BOUYGUES TCHAD, DAVID TERRASSEMENT et la SOGEA SATOM qui agissent comme larrons en foire et se partagent le pactole.
C’est encore une entreprise française CIMENTCHAD du groupe LAFARGE qui a le monopole du ciment, pour la réalisation de toutes ces infrastructures. Les fournitures en équipements lourds, engins et machines ont été confiées exclusivement à une société française, la ONA International.
Le sucre que les Tchadiens consomment leur est fourni, en totalité, depuis l’avènement de Deby par une entreprise française, la SOMDIA du groupe VILGRAIN .
Une autre entreprise française a le monopole des boissons gazeuses et sirops, c’est la BGT dont la maison mère est la société des brasseries internationales. Ses activités se sont élargies, aujourd’hui, avec les bouteilles d’eau Tangui et Cristalline qui appartiennent au groupe français Castel.
Le fret est aux mains de deux sociétés françaises, il s’agit de SDV Tchad du groupe BOLLORE et de la société AGS.
Au TCHAD, l’ensemble des activités de courtage en assurances ont été laissées entre les mains de la société française GRAS ET SAVOIE.
La CFAO, société française, a le monopole de la vente des véhicules non militaires. Le groupe français TOTAL a le monopole de l’importation et la commercialisation des combustibles et autres produits dérivés.
Pour voyager, le groupe Air France a un quasi monopole, en pratiquant des prix exorbitants, des conditions déplorables de voyage, un prix du KG scandaleux et sans aucune sécurité, car les coucous dans lesquels les tchadiens voyagent sont hors normes.
L’hôtel Novotel-TCHAD appartient au groupe français ACCOR. Qui a le monopole de l’importation des médicaments au Tchad ? C’est encore une entreprise française, en l’occurrence LABOREX.
Les cigarettes que les tchadiens fument leur sont livrées par un groupe français. La Cotontchad appartient pour 25% au groupe français DAGRIS.
Le secteur bancaire voit aussi une importante participation française à travers la SGBT et de deux organismes s’occupant de produits financiers ; la FINADEV TCHAD et la HORUS BANQUE.
Les activités juridiques sont aux mains de deux entreprises françaises ; la FIDAFRICA TCHAD ET PRICE WATER HOUSE COOPERS.
N’oublions pas la vente d’armes de guerre par l’Etat français (de loin premier fournisseur) au régime Deby pour des montants classés Secret Défense.
Cette liste, non complète, révèle bien de choses, encore que malheureusement dès qu’il s’agit de l’Afrique, on peut tout dire sans qu’on ne vous contredise.
Comment une journaliste qui a passé 2 ans au Tchad peut-elle ignorer tout cela ?
Comme chacun peut le constater les intérêts économiques français au Tchad sont importants et tout ce qui rapporte gros est entre leurs mains ; on a eu également à le constater à travers l’aide liée où tous les programmes de la coopération européenne sont donnés à condition que seules les entreprises françaises gagnent les marchés ; de même, l’EUFOR, la Minurcat ont essentiellement travaillé avec les sociétés françaises. Sans compter que les bénéfices sont rapatriés dare dare sans limite comme c’est le cas dans certains autres pays. Et bien sûr, les doigts dans le nez, la plupart de ces entreprises ne paient pas un sou au fisc tchadien, à tel point que certains experts de la Banque mondiale l’ont relevé pour le déplorer.
Secundo, Sonia Rolley a déclaré que le Pétrole Tchadien est aux mains des américains et que les français n’ont rien.
Mais alors, les français n’ont pas d’intérêts économiques, pas de bénéfices dans le pétrole et pourtant ils sont implantés depuis plus de 30 ans dans ce pays ! L’Etat français dépense des millions d’euros pour entretenir une base militaire, des milliers d’hommes pour un bac à sable ? Soyons sérieux et revenons sur terre. Comme on l’a vu, la France a d’importants intérêts économiques, ses sociétés tranquillement installées font leurs plus importants bénéfices dans ces zones de non droit et d’absence de souveraineté, loin du territoire européen où elles ne peuvent conquérir des espaces économiques bousculés par les groupes allemands et américano-britanniques. N’est- ce pas que 60% des entreprises françaises du CAC 40 sont aujourd’hui contrôlées par des groupes américains ? C’est dire…
La France a fait partir par un coup d’Etat Hissein Habré pour y mettre Deby. Un mois après, ELF est entré dans le consortium à hauteur de 20% cédés gratuitement par Deby sur la part du Tchad. L’accès au pouvoir a un prix qui devait se payer rapidement. Obtenir 20% gratuitement de la ressource la plus stratégique au monde, est-ce rien ? Peut-on nous citer un autre exemple dans le monde ?
Très vite , compte tenu de la mainmise de la France sur notre pays et considérant que Deby était leur chose, et ayant pleinement conscience de la capacité de nuisance des français qui pouvaient facilement semer une pagaille monstrueuse et partant empêcher l’exploitation du pétrole, les américains à travers la Corporate Council of Africa et les français par le CIAN, vont s’asseoir et convenir que 65% des entreprises qui vont effectuer les travaux du projet pétrolier Tchadien seront françaises.
C’est ainsi que BOUYGUES, SOGEA, SPIE BATIGNOLES, CEGELEC, BOLLORE, entreprises de bâtiment et d’ingénierie vont gagner les marchés pour l’acheminement de l’or noir du Tchad.
Plus précisément, dans ce pré carré des intérêts français, la construction de ce champ pétrolifère, un contrat de 3 milliards d’euros est attribué à Kellog (USA), à BOUYGUES, CEGELEC , et au groupe Alsthom (français).
L’installation de l’oléoduc coûtera 1 milliard d’euros et sera donné à SPI –CAPAG et à l’américain BROTHERS.
Le groupe Bouygues aura la construction des routes et plates-formes d’entreposage des tuyaux, (300 millions d’euros) Sogea et sa filiale Satom vont se voir attribuer la partie camerounaise (600 millions d’euros).
Le lot de station de pompage (1/2milliards d’euros) sera partagé entre Cegelec, Bouygues et Kellog.
Sans compter les contrats de sécurisation du pipeline, les entreprises françaises ont aussi bénéficié des colossaux contrats d’assurances. C’est ainsi que notre pauvre STAR nationale n’a rien eu du tout, et ceci en violation totale des dispositions légales qui régissent le secteur dans la zone CEMAC.
Les entreprises françaises ont jusqu’à aujourd’hui, les contrats de maintenance. Il faut aussi souligner qu’au moment des négociations, entre français et américains, beaucoup de clauses sont restées secrètes. Signalons que ces entreprises ont bénéficié d’exonérations fiscales, de non imposition sur l’impôt sur les sociétés, de non paiement de multiples taxes, qu’un expert a estimées au bas mot à de centaines de millions de dollars de manque à gagner pour le Tchad. Pauvre bac à sable !
Comme on peut le réaliser, une part importante est revenue aux intérêts économiques français dans le pétrole tchadien, prétendre le contraire, c’est vraiment prendre les tchadiens pour des Kichas. Le Tchad, quel drôle de bac à sable ?
Dans ce pays, l’Etat français, les militaires français se sont bel et bien comportés comme le bras armé des multinationales françaises, l’Etat tchadien incarné par Deby les sert avec zèle.
Pour les groupes français, l’octroi de tous ces marchés avec tous les profits qu’ils génèrent sont indispensables à leur survie. Les économies et gains d’échelle qu’ils engrangent sont incomparables. C’est pourquoi les conditions économiques, politiques et militaires leur permettant de remporter ces marchés doivent être absolument sauvegardées au Tchad, comme au Gabon, au Congo, en RCA, au Togo, etc…
Il a été démontré récemment que, contrairement au discours cher à Sarkozy « la France n’a pas besoin de l’Afrique… » qui a inspiré des déclarations mensongères des milieux économiques français, les chiffres ont largement contredit le propos. Deux exemples parmi mille : Les groupes Bolloré et Bouygues ont réalisé leur meilleur chiffre d’affaires en Afrique. De même, le seul endroit où FRANCE TELECOM fait des bénéfices constamment, c’est en Afrique.
L’Etat Français installe ainsi ses comptoirs commerciaux et ses réseaux, au milieu d’un chaos politique avec un système répressif, une justice aux ordres, des élections que « les partenaires » savent truquées et pourtant qu’ils financent à tour de bras, un chaos économique avec une pauvreté et une misère grandissante, une corruption généralisée et des détournements incalculables. Apparait ainsi au grand jour, la collusion entre criminalité financière et criminalité politique. Ce chaos politique et économique dans l’avènement duquel la France porte une lourde responsabilité est pour la françafrique un atout formidable. Les situations de guerre sont parfois bien commodes pour réaliser les plus gros business, même les Nations Unies les ont reconnues.
Si le Tchad est le berceau de l’humanité, il est aussi le berceau de la françafrique. La journaliste s’est interrogée sur ce qu’était la françafrique. Pourtant, la bonne réponse a été déjà donnée, tombée de là où l’on s’attendait le moins : en effet, lors d’un entretien récent avec un journaliste qui lui a posé la question « M. le président, c’est quoi la françafrique ? », Jacques Chirac, ancien président français a répondu : « la françafrique c’est le pillage de l’Afrique… ». Amine.
A suivre, la seconde partie.
La Rédaction